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Améliorer les chaînes de valeur agricole

L’amélioration des connexions entre les petits exploitants ruraux et les chaînes de valeur agricoles nationales, régionales et internationales est une priorité cruciale de développement et de réduction de la pauvreté. Toutefois, les types d'interventions qui permettront d'améliorer ces connexions sont très spécifiques au contexte et varient en fonction du pays, de la population cible et du produit spécifique commercialisé. Dans un nouveau livre les chercheurs de l’IFPRI étudient les moyens d’évaluer et de mettre en œuvre au mieux des interventions de développement de la chaîne de valeur (DCV), avec plusieurs études de cas réalisées en Afrique sub-saharienne.

Le chapitre 4 aborde l’utilisation de l’agriculture contractuelle, un système qui a  longtemps été considéré comme un moyen de relier efficacement les petits agriculteurs ruraux aux nœuds de transformation et de vente en gros des chaînes de valeur. Comme le soulignent les auteurs du chapitre, l’agriculture contractuelle a aussi suscité quelques critiques de la part des chercheurs et des acteurs du développement qui la considèrent comme un moyen permettant aux grandes entreprises de tirer profit des petits producteurs pauvres et d’établir une dominance de marché, au détriment de leurs partenaires petits producteurs.

Selon les dispositions de ce type de contrats agricoles, avant la phase de plantation, les producteurs signent des accords avec un acheteur qui paye un certain prix à la livraison de la quantité et de la qualité de production convenues. Sur la base d’une étude menée sur un certain nombre de contrats d’agriculture contractuelle dans une série de pays en développement, principalement en Afrique sub-saharienne, le chapitre montre que ces contrats sont plus efficaces dans les chaînes de valeurs des fruits et légumes (dans lesquelles la qualité est particulièrement importante), dans les chaînes de valeur des produits laitiers et de la volaille et dans les chaînes de valeur des cultures de rente telles que le tabac, le thé, la canne à sucre et le coton. L’étude a montré que l’agriculture contractuelle n’était généralement pas adaptée à la production céréalière. Ceci représente un défi pour les petits exploitants agricoles dans les pays en développement, car plusieurs d’entre eux produisent des céréales et autres cultures de base. Les auteurs estiment que dans la plupart des pays en développement, seuls 1 à 5 pour cent des petits producteurs agricoles s’engagent dans des schémas d’agriculture contractuelle.

Cependant, les auteurs ont aussi découvert que la signature de contrats d’agriculture contractuelle augmente les revenus des producteurs de 25 à 75 pour cent en moyenne, faisant de l’agriculture contractuelle un moyen important de réduire la pauvreté rurale. Les auteurs suggèrent aux gouvernements d’investir dans des voies et moyens permettant d’aider les petits producteurs agricoles à passer de la production de cultures de base à une production agricole de grande valeur pour laquelle l’agriculture contractuelle est plus efficace. Leurs suggestions incluent le développement des degrés et des normes efficaces pour une production de grande valeur ; la promotion de partenariats public-privé dans les services de vulgarisation agricole ; la promotion de la concurrence entre les entreprises agricoles ; la prestation de services de médiation et de tests effectués par des tiers pour empêcher les agriculteurs et les entreprises de renoncer aux contrats ; et l’établissement d’un environnement légal efficace pour aider à faire respecter les contrats.

De telles politiques permettraient d’augmenter le nombre de schémas d’agriculture contractuelle et d’aider plus de petits producteurs à tirer avantage de ces schémas.

Le chapitre 5 aborde le thème des chaînes de valeur de l’élevage et étudie plusieurs projets visant à améliorer l’accès des éleveurs de bétail au fourrage. La rareté du fourrage représente un défi de taille pour les producteurs dans les pays en développement ; en effet, le manque de fourrage limite la quantité et la qualité des animaux qu’ils peuvent produire et augmente la concurrence et le conflit par rapport aux maigres ressources. Le Projet d’Adoption de Fourrage, mis en œuvre par l’Institut International de Recherche sur l’Elevage (ILRI), étudie des interventions innovantes visant à augmenter la disponibilité du fourrage dans de nombreux pays en développement, y compris en Ethiopie. De telles interventions incluent l’utilisation de variétés améliorées de semences ; la combinaison des cultures vivrières et fourragères dans les zones de pénurie alimentaire ; l’utilisation des technologies d’irrigation par opposition à l’arrosage à l’eau de pluie ; la pratique des cultures intercalaires de différentes plantes fourragères. Le projet est également axé sur l’augmentation des relations de confiance parmi les acteurs de la chaîne de valeur de l’élevage (agriculteurs, agences gouvernementales, ONG et secteur privé) ; cet aspect s’est révélé particulièrement important en Ethiopie où le nombre d’acteurs tout au long de la chaîne de valeur de l’élevage peut être élevé (sept ou plus).

Le projet a montré que les agriculteurs qui ont mis en place ces interventions ont bénéficié d’une plus grande disponibilité de fourrage tout au long de la saison de pénurie ; ce qui a permis une plus grande productivité et une plus grande production. En Ethiopie, où les animaux sont aussi utilisés comme puissance de traction, l’amélioration du fourrage a aussi eu un impact positif sur la production agricole. Cette augmentation globale de la production a entraîné une amélioration du statut alimentaire et nutritionnel des ménages, de même qu’une amélioration de leurs revenus. Cependant, les auteurs du chapitre soulignent que ces avantages dépendent énormément des opportunités de réseautage et d’apprentissage commun – permettant de former les éleveurs de bétail sur les méthodes d’amélioration de la production de fourrage – et des opportunités d’accès au marché.

Le chapitre 10 discute de l’utilisation des plateformes innovantes (PI) en Afrique. Les PI sont essentiellement une série de réunions qui rassemblent différents intervenants de la chaîne de valeur pour partager leurs connaissances et trouver des solutions aux problèmes communs. On pense qu’un groupe d’intervenants hétérogènes peut être plus à même d’identifier des solutions efficaces que les groupes plus homogènes tels que les coopératives agricoles. Cependant, comme le montrent les auteurs du chapitre, la réussite d’une PI dépend de la façon dont elle est organisée. Différents intervenants peuvent être utiles pour apporter des idées différentes et des connaissances sur la table ; cependant, cela peut aussi créer des conflits d’intérêt et un manque de coopération, deux situations qui doivent être surmontées par le facilitateur afin que la PI soit un succès.

Utilisant les données probantes découlant d’un atelier organisé au Kenya en 2013, le chapitre examine quelques-uns des principaux défis rencontrés dans l’organisation d’une PI réussie en Afrique et propose des solutions pour surmonter ces défis. Un des plus grands défis provient de la complexité de l’agriculture elle-même – une bonne production agricole englobe des facteurs technologiques, institutionnels, infrastructurels et sociaux. Un facilitateur efficace de PI devra être bien au fait de ces questions pour assurer que les intervenants puissent s’engager efficacement les uns avec les autres à travers tout le système agricole.

De plus, la PI elle-même doit être flexible et s’adapter aux besoins changeants des intervenants. Par exemple, dans une PI d’élevage au Zimbabwe, l’accès au marché a été initialement identifié comme un facteur limitatif majeur et, par conséquent, les activités initiales incluaient l’implication des acheteurs, des transporteurs, des commissaires-priseurs et des agences de l’administration locale responsables de la régulation de la commercialisation du bétail dans la plateforme. Cependant, une fois que les marchés locaux ont été établis, les intervenants ont identifié la production comme un défi ; ainsi, la PI a été étendue de manière à inclure les fournisseurs d’aliments commerciaux. Cet exemple montre comment l’agenda et les besoins d’une PI peuvent changer dans le temps et que la facilitation doit rester flexible pour assurer que la perspective de la PI soit placée sur les problèmes pertinents.

Le chapitre souligne également l’importance de veiller à ce que les PI ne se contentent pas de renforcer les dynamiques de pouvoir existantes dans la région ; et l’importance d’augmenter la participation des femmes pour améliorer l’égalité de genre dans les chaînes de valeur agricoles. De plus, les PI doivent être régulièrement surveillées et évaluées de manière à assurer leur bon fonctionnement, leur durabilité et leur impact positif sur les populations rurales. Enfin, de nombreux pays en développement devront changer leur environnement afin d’améliorer efficacement l’utilisation des PI dans les chaînes de valeurs agricoles. Ce qui implique d’exercer une plus grande volonté politique pour de tels partenariats publics-privés innovants et de mettre l’accent sur le développement du capital humain (spécialement  les capacités de gestion).

Il existe déjà une pléthore d’interventions conçues pour améliorer le caractère inclusif et le fonctionnement des chaînes de valeur agricoles. Toutefois, pour atteindre ces résultats, les interventions de DCV doivent être mieux surveillées et évaluées, et les futures interventions doivent être plus spécifiquement adaptées aux populations et aux produits.