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Avantages économiques et sanitaires de la patate douce à chair orange

Il a été prouvé que les cultures bio-fortifiées telles que les patates douces à chair orange réduisent la malnutrition et la déficience en micronutriments, en particulier chez les enfants, et augmentent les revenus des ménages agricoles. Toutefois, l’adoption de ces nouvelles cultures dépend des perceptions individuelles des agriculteurs sur les avantages de la bio-fortification. Dans un article récent de Food Security , les chercheurs examinent les perceptions qu’ont les hommes et les femmes des avantages économiques et sanitaires de la patate douce à chair orange (PDCO) dans les districts de Phalombe et Chikwawa au Malawi ; la PDCO constitue une culture essentielle à la sécurité alimentaire dans ces régions.

En menant une analyse de genre du système de culture de la patate douce à chair orange dans ces zones, les auteurs cherchent à mieux comprendre comment les hommes et les femmes peuvent bénéficier différemment de la production, de la consommation et du marketing de cette culture et comment les interventions de bio-fortification peuvent être conçues pour bénéficier à tous les membres de manière égale.

En utilisant une approche de relations sociales (ARS) qui a incorporé des groupes de discussion thématique ventilés par sexe, l’étude a collecté des données de novembre 2013 à janvier 2014. Les groupes thématiques étaient dirigés par deux facilitateurs et deux facilitatrices ; et les entretiens individuels ont été menés par le chercheur principal de l’étude. Au total, 17 groupes de discussion thématique ont été organisés (8 avec des agricultrices et 9 avec des agriculteurs) ; chaque groupe thématique incluait 10 participants. Deux groupes de discussion thématique ont été animés avec des agents de vulgarisation masculins (un total de 8 participants). Ainsi, 178 personnes ont participé aux groupes thématiques. De plus, 16 Multiplicateurs de Boutures Décentralisés (des participants qui cultivent les patates douces à chair orange pour la vente des boutures plutôt que pour les racines) ont participé aux entretiens individuels.

Les agriculteurs et les agricultrices ont déclaré que les avantages perçus sur les plans économique et sanitaire sont les principales raisons à l’origine de leur décision de commencer à cultiver la patate douce à chair orange. Les participants ont rapporté qu’ils considéraient la PDCO comme une culture qui produit des rendements bien plus élevés que les autres cultures. De plus, ils percevaient la demande de PDCO comme étant plus élevée que la demande de patate douce à chair blanche ; les participants ont aussi déclaré que, selon eux, la PDCO pourrait rapporter un prix plus important que la patate douce traditionnelle. Ainsi, la culture de PDCO, en particulier les boutures, était généralement considérée comme étant plus intéressante sur le plan financier que les autres cultures.

Les hommes et les femmes ont également signalé que la culture de la PDCO a permis d’améliorer la consommation alimentaire des ménages, étant donné que cette culture est disponible pendant la saison creuse. D’autre part, les femmes ont déclaré qu’elles ont la possibilité de troquer leurs patates douces à chair orange contre d’autres aliments au sein de la communauté, améliorant ainsi leur diversité alimentaire. Le système de troc est généralement dominé par les femmes ; et les hommes sont généralement plus investis dans la vente au comptant de boutures de PDCO.

L’investissement des revenus gagnés à travers la vente de PDCO dans d’autres intrants agricoles était aussi un important avantage économique perçu par les hommes et les femmes. Les agriculteurs en particulier ont souligné leur capacité à acheter du bétail avec l’argent gagné à travers la vente de PDCO. Les femmes ont tendance à acheter des chèvres, alors que les hommes achètent des animaux plus gros comme les vaches.

De nombreuses agricultrices ont mentionné que la culture de PDCO était une source d’autonomisation pour elles parce qu’elle leur rapportait un revenu qu’elles pouvaient contrôler indépendamment de leurs maris. L’étude a montré qu’un grand nombre de MBD (Multiplicateurs de Boutures Décentralisés) étaient des hommes, d’où le contrôle des hommes sur la vente des boutures de PDCO, alors que les femmes contrôlaient la culture et la vente  des racines. Ainsi, même si plusieurs femmes interrogées n’avaient pas le contrôle total sur l’argent gagné à partir de la vente de PDCO dans son ensemble, la culture de la racine et la participation au système de troc communautaire a effectivement augmenté leur capacité à prendre des décisions concernant les plus petits achats du ménage tels que les produits alimentaires et les ustensiles de cuisine.

En termes d’avantages sanitaires de la PDCO, les hommes et les femmes ont noté une augmentation de l’énergie, une amélioration de la vue et une amélioration de la santé et des capacités cognitives chez leurs enfants. Les femmes ont aussi cité des améliorations concernant leur peau et une amélioration des résultats de naissance, alors que les hommes ont souligné que la consommation de PDCO représentait une plus grande consommation de vitamines.

Comme cela a été mentionné précédemment, le rôle des femmes dans la culture de PDCO était souvent confiné aux racines des cultures, plutôt qu’aux boutures, lesquelles boutures peuvent rapporter des revenus plus élevés. L’étude a montré que les participantes s’inquiétaient du fait que vendre les racines seulement ne serait pas suffisant pour produire des revenus plus élevés. Le document identifie plusieurs raisons pour lesquelles les femmes ont tendance à ne pas s’impliquer dans la culture des boutures de PDCO. Tout d’abord, elles n’ont généralement pas le type d’équipement nécessaire ; l’équipement d’irrigation a été signalé comme étant important pour la culture des boutures et de nombreuses femmes ont déclaré ne même pas avoir accès aux arrosoirs. Deuxièmement, la culture des boutures exige beaucoup de temps et le temps des femmes est souvent pris par les autres tâches domestiques. Ainsi, de nombreuses femmes ont déclaré qu’elles choisissaient des cultures qui étaient moins exigeantes (telles que le maïs). Enfin, de nombreuses femmes ont rapporté une préférence pour les cultures sur lesquelles elles ont un contrôle total. Par exemple, les femmes conservent souvent le contrôle des revenus gagnés à travers la vente de riz ou de racines de PDCO ; au contraire, la culture des boutures de PDCO semble exiger des efforts de la part de l’ensemble du ménage, et c’est le chef de ménage (souvent l’homme) qui détient le contrôle ultime des avantages économiques.

L’étude a aussi montré que les femmes ont souvent moins accès aux marchés lucratifs de la vente des boutures de PDCO. Les acheteurs institutionnels tels que les agences gouvernementales et les ONG ont tendance à travailler avec des multiplicateurs de boutures enregistrés de manière formelle et offrant une production plus importante, lesquels sont généralement des hommes. Ainsi, les agricultrices qui produisent des boutures à une plus petite échelle ne parviennent pas à pénétrer ces grands marchés. De plus, les agents de vulgarisation ont identifié les normes culturelles comme étant des barrières à la participation des femmes dans le commerce des boutures.

Les conclusions de l’étude ont plusieurs implications importantes pour la conception des futures interventions concernant la patate douce à chair orange. Bien que les avantages économiques de la culture de PDCO soient perçus par les agriculteurs comme de bonnes raisons d’adopter cette culture, il est important de reconnaître que les hommes et les femmes n’ont souvent pas le même accès à ces avantages. Par exemple, bien que la culture des boutures de PDCO puisse apporter de plus importants revenus, les femmes n’ont généralement pas le contrôle sur l’argent gagné à travers le commerce des boutures. Ceci limite la capacité des femmes à prendre des décisions concernant les dépenses du ménage, ainsi que leur capacité à investir dans des actifs plus importants comme le bétail (la plupart des femmes rapportent qu’elles investissent dans de plus petits animaux comme les chèvres et les cochons) ou l’équipement d’irrigation.

Globalement, l’étude souligne que le lien entre l’agriculture et la nutrition repose non seulement sur la culture et la consommation d’aliments nutritifs, mais aussi sur la capacité qu’ont les hommes et les femmes à s’appuyer sur l’agriculture pour générer des revenus et utiliser ces revenus pour améliorer la diversité alimentaire de leur ménage. Les interventions visant à encourager l’adoption de cultures bio-fortifiées telles que la patate douce à chair orange devraient faire en sorte que les agriculteurs et les agricultrices soient capables de participer activement au programme et d’en bénéficier. Pour ce faire, il sera nécessaire de mettre en place une meilleure formation des agents de vulgarisation et des acteurs du projet afin de comprendre les besoins et les contraintes des agricultrices et de s’engager avec elles pour relever ces défis.