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L'interdiction d'exporter du maïs nuit aux pauvres des zones rurales en Tanzanie

Ces dernières années, les interdictions d'exportation de cultures de base sont devenues de plus en plus courantes, les pays tentant de préserver leurs réserves alimentaires nationales et de protéger leurs populations contre les flambées des prix alimentaires internationaux. La recherche a cependant montré que ces politiques font souvent plus de mal que de bien, en réduisant les prix que les producteurs locaux reçoivent pour leurs produits et en augmentant l'incertitude sur le marché pour les agriculteurs et les commerçants.

Les auteurs d'un nouvel article publié dans la revue Development Policy Review examinent ces effets dans le cas de l'interdiction d'exporter du maïs en Tanzanie en 2012, à l'aide d'un modèle d'équilibre général calculable (EGC). Le modèle se compose de 58 sous-secteurs agricoles et non agricoles définis pour 21 régions. Il ventile également les ménages par région pour permettre l'analyse de l'impact de l'interdiction d'exporter sur les groupes de ménages ; les ménages sont répartis en ménages ruraux agricoles, ruraux non agricoles et urbains, puis en cinq quintiles de revenus (données sur les revenus tirées de l'enquête nationale sur le budget des ménages de 2007).  Selon ces quintiles, le taux de pauvreté de la Tanzanie en 2012 était de 37,6 % dans les zones rurales et de 24,1 % dans les zones urbaines.

L'interdiction des exportations de maïs en Tanzanie en 2012 a duré du début de l'année jusqu'en septembre. À l'instar d'autres études sur les politiques d'interdiction d'exportation, les résultats montrent que l'interdiction d'exportation de la Tanzanie, si elle avait été maintenue, se serait faite au détriment des objectifs de développement à long terme du pays, tout en ne procurant que des avantages limités à court terme à une petite partie de la population.

La production de maïs a augmenté en Tanzanie ces dernières années en raison de l'expansion des surfaces cultivées ; cette augmentation de la production a permis au pays de devenir un exportateur net de maïs. Les exportations vers le Kenya voisin sont particulièrement rentables pour les agriculteurs tanzaniens, et il a également été démontré que ce commerce transfrontalier contribue à atténuer la volatilité des prix dans les régions frontalières, selon les auteurs du rapport.  En supprimant un important circuit de commercialisation du maïs, l'interdiction d'exporter a immédiatement réduit la demande totale de maïs produit localement, entraînant les prix du maïs à la baisse. Pour les régions qui ont produit un excédent de maïs (et qui ont donc eu tendance à exporter davantage), le modèle a estimé qu'avec l'interdiction d'exporter, les prix à la production seraient inférieurs de 18 à 20 % en 2011 et de près de 25 % en 2017 à ce qu'ils auraient été sans l'interdiction. Pour les régions non exportatrices, les prix à la production ont également baissé, mais plus modestement, de 9 % en 2011.

Pour l'ensemble de la Tanzanie, l'étude a montré que l'interdiction d'exporter ferait baisser les prix à la consommation du maïs de 13 à 16 %. À l'échelle du pays, le maïs et la farine de maïs ne représentent respectivement que 7,4 et 8,5 % du revenu total consacré à l'alimentation. Interdire l'exportation de maïs ne ferait baisser l'indice national des prix alimentaires que de 1,9 à 2,2 %. L'étude a également révélé que la majorité de cet avantage irait aux ménages urbains les plus riches. Environ 50 % du maïs et de la farine de maïs consommés dans le pays le sont par les 20 % des ménages les plus riches étudiés, de sorte que toute réduction des prix du maïs profiterait davantage à ces ménages qu'aux ménages plus pauvres qui dépensent de toute façon moins d'argent pour le maïs.

En fait, loin d'aider les ménages ruraux pauvres, l'interdiction d'exporter finit par leur nuire. En réduisant les prix du maïs, l'interdiction d'exporter a fait baisser les salaires de la main-d'œuvre non qualifiée, dont dépendent de nombreux ménages pauvres pour compléter leurs revenus agricoles. L'impact de l'interdiction sur le rendement des terres agricoles est encore plus important ; les régions exportatrices de maïs sont fortement touchées par ce facteur, le rendement des terres chutant de plus de 10 %.

Le modèle a également révélé que l'interdiction d'exporter a en fait augmenté le taux de pauvreté national. Dans un scénario de libre-échange, le taux de pauvreté national serait de 26,2 % en 2017 ; avec l'interdiction d'exporter, ce taux serait de 26,6 %. Cette légère augmentation est due à la hausse du taux de pauvreté dans les zones rurales, principalement dans les régions à excédent de maïs. La population totale des pauvres en milieu rural augmenterait de plus de 210 000 personnes d'ici 2017 dans le cadre de l'interdiction d'exportation ; le modèle estime que les deux tiers de cette augmentation seraient situés dans les régions rurales exportatrices de maïs. En revanche, le nombre total de ménages urbains pauvres diminuerait d'environ 49 000 au cours de la même période sous l'effet de l'interdiction d'exporter, ce qui montre bien que cette politique profite principalement aux régions urbaines.

Enfin, en réduisant les prix que les producteurs de maïs reçoivent pour leurs récoltes, l'interdiction d'exporter réduirait également les incitations à investir dans la production future de maïs, nuisant ainsi à la croissance du secteur du maïs sur le long terme. Avec l'interdiction d'exporter, la production annuelle de maïs chuterait de 3 % dans les régions non exportatrices de Tanzanie et de plus de 7 % dans les régions exportatrices d'ici 2017.

Suite aux conclusions de l'étude, le Premier ministre tanzanien Mizengo Pinda et le Président Jakaya Kikwete ont annoncé en septembre 2012 que l'interdiction d'exporter du maïs serait levée. L'étude et la réaction politique qui s'en est suivie soulignent la nécessité d'une analyse approfondie avant la mise en œuvre de toute politique en réaction aux variations des prix internationaux ou aux insuffisances de la production nationale.