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Changement climatique, large import alimentaire et population jeune croissante: les défis africains

Cette semaine, la FAO a organisé sa 29 ème Conférence Régionale pour l’Afrique (CRA) à Abidjan, Côte d'Ivoire. Cette conférence biennale fournit une plateforme permettant aux décideurs politiques et aux parties prenantes de débattre sur le développement agricole dans la région, avec pour objectif de promouvoir la coopération régionale et des politiques cohérentes. La session de cette année a été axée sur le thème suivant : « Transformer les systèmes agro-alimentaires africains pour une croissance inclusive et une prospérité commune ». L’évènement a réuni des ministres des gouvernements et d’autres délégués de haut-niveau des Etats Membres de la FAO, des organisations partenaires et des représentants des organisations de la société civile africaine et des médias.

Un des documents discutés pendant la conférence était “Trends and Issues in Food and Agriculture for National and Regional Action in the Context of the SDGs [Tendances et problèmes en alimentation et en agriculture pour l’action nationale et régionale dans le contexte des ODD]” . Le document passe en revue les dernières tendances mondiales en matière de sécurité alimentaire et d’agriculture et discute de l’influence passée et future de ces tendances sur la sécurité alimentaire et l’agriculture dans la région.

Trois évènements mondiaux majeurs ont été soulignés comme importants pour l’agriculture et la politique alimentaire aux niveaux à la fois régional et mondial : (i) les 17 Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’Agenda Universel 2030 pour le développement durable adopté en septembre 2015 aux Nations Unies à New York, (ii) l’Accord de Paris suite à la Conférence Mondiale des NU sur le Changement Climatique (COP21), qui vise à renforcer la réponse mondiale à la menace du changement climatique, et (iii) la Déclaration de Rome sur la Nutrition et le Cadre pour l’Action adopté par la Deuxième Conférence Internationale sur la Nutrition (ICN2) en 2014, qui appelle à l’action et au renouvellement des engagements mondiaux pour éradiquer la malnutrition sous toutes ses formes.

Au plan régional, la Déclaration de Malabo en 2014 lie la croissance inclusive de l’Afrique et les objectifs de développement durable à ceux établis dans les ODD, mais avec un calendrier encore plus ambitieux planifié jusqu’en 2025. Plus spécifiquement, la Déclaration reflète des ODD spécifiques à travers les engagements suivants : envers les principes et valeurs du processus de PDDAA (ODD1, 2), envers l’amélioration du financement des investissements en agriculture (ODD2), envers la lutte pour éradiquer la faim d’ici 2025 (ODD2), envers la réduction de la pauvreté de moitié d’ici 2025 à travers une croissance agricole inclusive et la transformation (ODD1), envers la stimulation du commerce intra-africain de produits agricoles et de services (ODD2), envers l’amélioration de la résilience des moyens de subsistance et des systèmes de production face à la variabilité du climat et autres risques liés au climat (ODD13), et la responsabilisation mutuelle pour aider les pays africains à atteindre les cibles comprises dans ces ODD respectifs.

Le rapport présente aussi des tendances régionales qui impacteront ces engagements, y compris les pertes alimentaires dues aux insectes et aux maladies, au changement climatique, au manque d’électrification, au manque d’emploi des jeunes et d’urbanisation et à la dépendance par rapport aux importations alimentaires.

Selon le rapport, les pertes post-récoltes dues aux insectes et aux maladies sont exceptionnellement élevées en Afrique parce que la région souffre d’espèces nuisibles et de maladies omniprésentes qui impactent les cultures de base, le bétail, la pêche et les activités forestières. De plus, la région ne possède pas de systèmes de contrôle performant des insectes et des maladies ou de mécanismes leur permettant de réagir face aux épidémies ; au contraire, elle s’appuie sur des politiques inefficaces telles que les interdictions d’exportation pour empêcher la propagation des nuisibles et des maladies. Ceci peut être très coûteux pour le secteur agricole de la région; par exemple, le rapport estime que le Ghana perd 230  $US en revenus d’exportation chaque année en conséquence des interdictions d’exportation mises en place pour empêcher la propagation des mouches des fruits. Les objectifs de la lutte pour éradiquer la faim et la pauvreté et de la stimulation du commerce régional nécessiteront approche plus complète et plus cohérente du contrôle transfrontalier des parasites et des maladies qui affectent les produits alimentaires.

En plus des parasites et des maladies, la population africaine et les écosystèmes sont particulièrement exposés aux catastrophes naturelles et aux chocs climatiques dus aux changements météorologiques ; les plus vulnérables étant, selon le rapport, les Petits Etats Insulaires en Développement de l’Afrique (PEID), le Sahel et la Corne de l’Afrique. Le coût économique de l’augmentation du niveau de la mer est estimé par la Banque de Développement Africaine à environ 45-50 milliards de USD par an d’ici 2040, et jusqu’à 7 pour cent du PIB annuel de l’Afrique d’ici 2100, comme résultat des pertes dans les secteurs de l’agriculture, du tourisme, de la santé, de l’énergie et de la pêche. Ainsi, la gestion du changement climatique et des questions environnementales sera essentielle pour atteindre les engagements de la Déclaration de Malabo et des ODD. De nombreuses initiatives en cours ont été lancées pour encourager l’appropriation des pratiques agricoles intelligentes face au climat, y compris l’ Alliance africaine pour l’agriculture intelligente face au climat . Le rapport encourage également les décideurs politiques à considérer les défis du changement climatique comme des opportunités d’attirer la croissance économique dans la région. Par exemple, augmenter les investissements (publics et privés) dans les technologies vertes et les nouvelles technologies agricoles intelligentes face au climat peut stimuler l’innovation et la création d’emplois, améliorant dans le même temps les moyens de subsistance et la durabilité.

Plus de 75 pour cent de la population africaine n’a pas accès à l’électricité et 81 pour cent dépendent des combustibles de biomasse tels que le charbon de bois et le bois de chauffe, qui apportent avec eux des risques sanitaires et environnementaux, pour la cuisine. De plus, le nombre de personnes qui n’ont pas accès à l’électricité devrait augmenter d’ici 2030 si des efforts pour augmenter la connectivité ne sont pas réalisés, selon l’Agence Internationale pour l’Energie Renouvelable. Le rapport suggère qu’étendre une production d’énergie sûre et rentable dans les pays africains nécessitera une combinaison de technologies, y compris des réseaux électriques régionaux et l’énergie hydraulique, solaire, éolienne et géothermique. Investir dans ces nouvelles installations aidera non seulement à combler le fossé de l’énergie en Afrique, mais permettra aussi d’effectuer des économies et de stimuler les investissements futurs et la croissance de l’emploi. Par exemple, la Banque Africaine de Développement estime qu’investir dans les réseaux régionaux et l’hydroélectricité permettra à la région d’économiser jusqu’à 2 milliards de dollars US par an.

En plus de ces défis, l’Afrique possède aussi la population la plus jeune au monde, avec presque 200 millions de personnes ayant entre 15 et 24 ans. Le rapport indique que cette population jeune a des attentes plus élevées que les générations précédentes concernant l’éducation, la santé et les opportunités d’emploi ; et les décideurs politiques à travers la région sont de plus en plus préoccupés par les voies et moyens de répondre à ces attentes. Environ 11 millions d’Africains chercheront à rejoindre le marché du travail chaque année au cours de la prochaine décennie, selon la Banque Mondiale, et plusieurs de ces jeunes ne sont pas intéressés par les emplois agricoles. Les infrastructures de transport améliorées ainsi que les opportunités de voyage et de migration ont entraîné de nombreux jeunes hors des zones rurales vers les villes ; cette tendance aura des implications sur la disponibilité de la main d’œuvre agricole et de la productivité agricole. Pour équilibrer la tendance à l’urbanisation avec l’importance du secteur agricole pour le développement économique global de l’Afrique il faudra compter sur un investissement dans les politiques de développement rural qui donnera à la jeunesse rurale une motivation pour rester à la ferme. Entre autres motivations, on peut citer : l’amélioration des infrastructures rurales telles que la connectivité électrique ; de meilleurs opportunités d’éducation pour les jeunes ruraux ; des services d’extension pour enseigner des techniques agricoles innovantes et l’importance de l’agriculture intelligente face au climat ; et des efforts pour mieux connecter les agriculteurs aux marchés à forte valeur ajoutée afin d’améliorer les moyens de subsistance en milieu rural et de rendre l’emploi agricole plus compétitif.

L’agriculture conserve une importance particulière parce que depuis 1980 les importations alimentaires de l’Afrique ont augmenté de manière plus constante et plus rapide que ses exportations alimentaires, atteignant un premier record de  50 milliards de dollars en 2008. De plus, ces importations alimentaires croissantes ont concerné les produits alimentaires de base tels que les céréales, les produits laitiers, les huiles comestibles et les oléagineux, et les viandes ; ce qui implique que l’Afrique repose maintenant sur les importations pour répondre à ses besoins en matière de sécurité alimentaire. Cette dépendance signifie des factures élevées à l’importation, qui portent les gouvernements à négliger d’autres programmes de développement importants tels que les filets de protection sociale, les projets d’infrastructure, l’éducation et la santé. Cependant, le commerce à l’intérieur de l’Afrique a démontré son succès – au cours de la dernière décennie, le commerce intra-africain a compté pour 30 à 60 pour cent des exportations totales du continent. Ceci porte à croire que le commerce dans la région pourrait être étendu, en renforçant à la fois la sécurité alimentaire et le développement économique de la région. Pour accomplir cette expansion du commerce inter-régional, cependant, les régimes commerciaux existants devront être réformés pour ôter les politiques de « distorsion » telles que les interdictions d’exportation et les subventions aux exportations et pour minimiser les impacts négatifs des barrières non tarifaires. Au niveau national, les infrastructures physiques et les chaînes de valeur agricoles devront être renforcées pour améliorer l’accès au marché des petits exploitants agricoles. De plus, les gouvernements devront redoubler d’efforts pour assurer que les cadres légaux et règlementaires de leurs pays sont transparents, justes et efficaces. Il y a eu des signaux forts d’engagement politique dans cette direction ; la Déclaration de Malabo a formulé l’objectif de booster le commerce agricole interafricain de produits et services agricoles en triplant le niveau actuel du commerce interne d’ici 2025 et en faisant le suivi de l’établissement d’une zone de libre-échange continentale (CFTA) et la transition vers un schéma de tarif extérieur commun (CET) au niveau du continent.